C’était un soir de décembre… Je m’en souviens comme si c’était hier. La neige tombait doucement. J’étais assise au coin du feu, perdue dans mes pensées… Non loin, le sapin brillait de mille feux. À mes pieds, une tasse de thé refroidissait, signe que j’étais ailleurs depuis longtemps.
En cette période d’amour et de partage, on aurait pu croire que mon esprit vagabondait de gratitudes en mercis. Comment en aurait-il pu être autrement? J’avais tout ce qu’il me fallait: emploi, famille, amis. En fait, j’étais réellement reconnaissante d’être aussi choyée par la vie. Malgré tout, il subsistait un manque que je n’arrivais pas à m’expliquer. En fait, j’en connaissais l’origine, mais je refusais de m’y référer de quelque manière que ce soit.
Quoi qu’il en soit, en ce soir de décembre, je ne sais si c’était l’ambiance ou l’appréhension d’une fin d’année semblable aux précédentes, mais je ressentais plus que jamais ce vide en moi. Empreinte d’une nostalgie des années perdues, ma réflexion me ramenait toujours au même point: un doux rêve que je caressais en secret depuis tellement longtemps que j’en avais oublié l’origine.
Alors que mon regard scrutait la pièce, cherchant en vain une forme quelconque de signe, je crus apercevoir une lueur d’espoir au travers la fenêtre, entre les flocons virevoltants. Une idée un peu folle jaillit alors dans mon esprit, presque plus folle que mon rêve lui-même. Je voulus la repousser, mais elle était tenace. À mon âge, c’était insensé, mais le manque omniprésent au creux me mon ventre finit par avoir le dessus sur ma raison: J’allais écrire au Père Noël.
Évidemment, mon esprit étant habitué à la réconfortante stabilité, une valse de commentaires de toutes sortes suivit cette idée que je trouvais de plus en plus saugrenue. Écrire au Père Noël! Je perdais définitivement la tête ou quoi? Il y avait belle lurette que je ne croyais plus à quelque forme de magie que ce soit!
C’est à ce moment précis que je me tus, stupéfaite d’entendre de tels propos de ma part. Des larmes coulèrent silencieusement sur mes joues, leur présence ayant été trahie par l’éclat multicolore des lumières du sapin. Comment avais-je pu en arriver à ce point? En ce soir de décembre, je dus me rendre à l’évidence: Je portais ce rêve en moi, tel le poids du monde, depuis trop longtemps. Je n’avais plus rien à perdre, le vieil homme à barbe blanche recevrait une missive de ma part cette année!
Je me suis couchée le coeur léger. J’aurais cru qu’en me réveillant le lendemain, j’aurais tout oublié, mais même le brouhaha de la maisonnée n’arriva pas à m’éloigner de mon objectif. J’ai profité du fait que les enfants étaient sagement occupés pour m’éclipser. Je me sentais comme une enfant sur le point de faire un mauvais coup.
Une tasse de thé à la main, je pris place à mon bureau en saisissant au passage une feuille de papier et un stylo. J’étais presque gênée d’écrire le traditionnel « Cher Père Noël… ». Mes yeux se sont fermés doucement pour que je puisse m’imprégner de mon rêve et c’est avec une lenteur presque solennelle que je laissai couler les mots empreints d’une naïveté enfantine qui n’avait pas ressurgi en moi depuis des années. En signant mon nom au bas de la page, je me suis sentie si bien, si libre, si moi. J’ai saisi une enveloppe, griffonné l’adresse et j’ai couru rejoindre ma famille avec un empressement nouveau. Cette lettre m’avait donné des ailes.
Les jours de décembre se sont écoulés dans le tourbillon des préparatifs tant et si bien que le matin de Noël arriva sans même crier gare. C’est dans la folie du déballage de cadeaux, entre les mercis, les bisous et les cris de joie des enfants, que j’aperçu un tout petit paquet garni de grelots qui ne m’était pas familier. Interloquée, j’étais sur le point de demander de qui ça venait quand une idée folle m’est passée par la tête: ce ne pouvait pas être vrai!
Saisissant le mystérieux paquet, je m’éclipsai dans la cuisine, prétextant le besoin de réchauffer ma tasse de thé. Une fois seule, je saisis délicatement le présent et entrepris de l’ouvrir. À l’intérieur se trouvaient un calepin et un crayon. Étonnée, je ne compris pas la signification d’un tel cadeau. Loin de la réalisation de mon rêve, je cherchais de quoi il en retournait lorsqu’une petite enveloppe tomba du calepin. En la ramassant, j’aperçu mon prénom signe que le tout m’était vraiment destiné. À l’intérieur de celle-ci se trouvait un petit mot:
« Ho! Ho! Ho! Un rêve ne se réalise pas comme par magie, il faut du temps, du travail et un plan d’action. Voici ce qui t’aidera à te lancer. Fais-en bon usage. Tu as tout ce qu’il faut pour y parvenir, je crois en toi. Ton ami, Père Noël »
J’étais encore sous le choc. Je ne sais pas si c’était d’avoir réellement reçu un cadeau directement du Pôle Nord ou de la déception de ne pas avoir reçu exactement ce que j’avais demandé. Je savais que ma réaction était immature. J’essayais de me raisonner, de trouver un sens à tout cela, mais mon esprit embrouillé par le sentiment d’échec ne pouvait en prendre plus. J’ai donc caché le calepin et le crayon reçus dans un tiroir et je me résolus à mettre tout ça de côté. Je me suis accroché un sourire au visage pour aller rejoindre ma famille. C’était le temps des Fêtes après tout!
Les journées se succédèrent à un rythme fou: un souper par-ci, une accolade par-là, de la parenté de tous côtés, les enfants surexcités… Je n’avais pas une minute à moi pour penser ce qui était parfait, car je n’en avais pas du tout envie. Je m’amusais, du moins, en apparence.
Je savais que mon sourire et mon enthousiasme étaient faux. Je m’efforçais d’être agréable, mais au creux de moi, le vide était encore plus présent. Je ne sais pas trop à quoi je m’attendais au fond, un miracle? J’avais ce rêve qui brûlait en moi plus que jamais et j’avais placé tout mon espoir dans une lettre? Pathétique, voilà ce que j’étais, pathétique! Le pire c’est que j’étais consciente que mon discours intérieur était destructeur. Je n’aurais pas dû ouvrir cette boîte de pandore qu’était mon rêve. Je vivais bien avant, du moins, en apparence.
C’est dans cette atmosphère de découragement festif qu’à la vitesse de l’éclair je suis passé de Noël à la veille du Nouvel an. Ce soir-là, comme à chaque année, nous devions recevoir famille et amis pour le traditionnel décompte de minuit. Il y avait de la fébrilité dans l’air. Même moi, qui avais été grandement ébranlée au cours de la dernière semaine, je me suis sentie revivre dans cette ambiance sous le signe du renouveau.
Les préparatifs allaient bon train. La maison sentait bon. Je me surpris même à fredonner. En cherchant une spatule, je découvris le calepin et le crayon que j’avais reçus une semaine plus tôt. Soudainement émotive, je me suis assurée de laisser la cuisine aux bons soins de ma famille avant d’aller me réfugier dans ma chambre où je laissai aller le trop-plein accumulé, non pas depuis les sept derniers jours, mais depuis toutes ces années où je me suis menti à moi-même sans aucune retenue.
Au bout de mes larmes, je finis par relâcher le calepin qui, pendant tout ce temps, avait trouvé refuge auprès de mon coeur. En cet instant, l’image me sembla si puissante: tout était maintenant clair et évident. En cette nuit de tous les possibles, je venais de prendre la décision d’avancer en direction de mon rêve. Je relus la lettre du Père Noël avec une gratitude si profonde, j’avais enfin compris son message. J’espérais un miracle alors que, pendant tout ce temps, c’est moi qui avais le pouvoir de le réaliser.
J’ouvris mon calepin et je me mis à écrire encore et encore. Dans les moindres détails, je mis des mots sur mon rêve. Le simple fait de le décrire me remplit d’une fierté encore inégalée à ce jour. Le premier pas était fait. J’avais toujours le pouvoir de reculer, mais je n’avais aucune envie de revenir en arrière. Alors que je me relisais en sentant mon coeur s’emballer, un mot surgit dans mon esprit : Espoir. Je savais que ce mot était important pour moi et qu’il allait me guider, tel un phare à travers le brouillard du quotidien.
En refermant mon calepin, je me fis la promesse que l’année qui commencerait dans quelques heures serait différente des précédentes. Je souris à cette pensée sachant très bien que je mettais le pied dans ce qui allait être la plus grande aventure de ma vie.
Lorsque ma fille se glissa dans ma chambre quelques secondes plus tard, je me souvins qu’on devait peut-être me chercher. Elle s’approcha doucement de moi avec son petit radar de naïveté:
– Maman, tu pleures?
– Non, ce sont des larmes de joie. Bonne année mon ange!
– Mais maman, c’est pas encore minuit!
– Je sais, mais aujourd’hui, c’est le premier jour de ma nouvelle vie.
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