Elle était dans les coulisses. Elle était belle. Le coeur brûlant d’excitation, elle attendait que son tour arrive. Elle avait attendu ce moment si longtemps, se pratiquant sans relâche pour apprendre chaque pas et maîtriser chaque mouvement. C’était le couronnement de tous ses efforts, celui qui allait justifier toutes les fois où elle s’était relevée. Dans quelques minutes, toutes les foulures et ampoules n’allaient plus avoir d’importance. C’était sa journée, son moment.
Elle ferma les yeux pour s’imprégner de ce moment unique. C’est à cet instant qu’une voix étrangement forte se fit entendre, lui demandant si elle était vraiment prête. N’avait-elle pas éprouvé des difficultés hier encore lors de la générale?
Elle eut à peine le temps d’ouvrir les yeux qu’elle se sentit transportée par un étrange cavalier. À la fois agile et plein d’assurance, il l’entraîna… sur la scène!
Par vagues… 1, 2, 3… 1, 2, 3… 1, 2, 3…
Il la faisait tournoyer encore et encore. Elle n’avait aucun contrôle sur son corps. Dans ses bras, elle devenait une poupée de chiffon. Et lui tournait, tournait, tant et si bien qu’elle finit par se sentir mal. Elle croulait sous la honte à la simple pensée qu’elle se donnait en spectacle contre son gré. Et plus elle se mortifiait en songeant à sa déconfiture, plus il l’entraînait au fond de sa spirale tourbillonnante.
1, 2, 3… 1, 2, 3… 1, 2, 3…
Il n’y a pas à dire, c’était un habile cavalier. Même sans musique, il imposait le rythme de ses pas solides. Elle n’avait rien à faire, il prenait toute la place. De toute évidence, elle ne s’était pas préparée adéquatement à ce pas de deux terrifiant.
1, 2, 3… 1, 2, 3… 1, 2, 3…
Entraînée malgré elle dans cette valse endiablée, elle avait perdu le contrôle. Pourtant, elle était prête. Elle connaissait chaque pas, elle avait assimilé chaque mouvement… Elle eut l’impression de manquer d’air. C’était trop injuste qu’elle se retrouve sous son emprise si près du but. Elle regarda pour la première fois autour d’elle en quête d’une aide quelconque. Personne n’avait donc remarqué que ce numéro d’une élégance sordide n’était pas prévu au programme?
1, 2, 3… 1, 2, 3… 1, 2, 3…
Au creux de son ventre, une boule de panique finit par prendre forme. Jusqu’alors d’un sérieux impitoyable, son cavalier sembla soudainement s’amuser de la situation. Dans le silence de la salle, un rire sinistre se fit entendre accentuant l’effet tourbillonnant de la prestation et provoquant une tornade de pensées paralysantes.
1, 2, 3… 1, 2, 3… 1, 2, 3…
Satisfait d’avoir fait son effet, il la lâcha subitement, l’abandonnant à son triste sort sur une scène paraissant beaucoup trop grande pour elle. Partagée entre la honte et le soulagement, elle ferma les yeux pour retrouver un tant soit peu de contenance et figurer comment elle allait se sortir de ce mauvais pas.
C’est à ce moment qu’un tonnerre d’applaudissements se fit entendre. Surprise, elle ouvrit les yeux pour constater qu’elle était… dans les coulisses! Les applaudissements étaient destinés au numéro qui venait de se terminer. Tout sourire, un couple de valseurs saluait la foule.
Encore troublée, elle sentit la main du régisseur de plateau sur son épaule lui indiquant qu’elle était la prochaine à présenter ce pour quoi elle avait travaillé si fort. Elle comprit alors qu’elle avait été une proie trop facile pour le trac. Il n’aura fallu qu’un mini doute dans son esprit pour qu’il s’empare d’elle à son insu. Elle prit de profondes respirations et s’élança sur scène sans trop y penser, faisant un pied de nez au trac resté en coulisses. Oh, elle avait peur, mais elle avait attendu ce moment si longtemps qu’elle préférait oser que d’abandonner: tout n’était pas perdu, il était temps pour elle de briller.
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